06 janvier 2010

Pierre Marie Gueritey : à propos du portrait de Karl Joseph Riepp



Le portrait de Karl-Joseph Riepp (Ottobeuren 1710 – Dijon 1775), alors en possession des descendants français de ce facteur d’orgues, a été publié par Jacques Gardien sous la forme d’une reproduction en sépia. (op.cité [4] planche IX).
Jacques Gardien (aujourd’hui décédé) était le fils de l’organiste de la collégiale de Dole et son ouvrage est le fruit d’une dizaine d’années de recherches menées avant la seconde guerre mondiale.
Malgré les problèmes de l’époque, il était en relations avec les musicologues allemands Hermann Meyer et Joseph Wörsching qui lui ont communiqué des informations sur les œuvres allemandes de Riepp et auxquels il a communiqué des informations sur les œuvres françaises de Riepp et sa vie en Bourgogne.
C’est ainsi qu’on trouve aussi la reproduction du portrait de Riepp dans les ouvrages de H. Meyer et de J. Wörsching (op.cités [2] et [3]) publiés en Allemagne respectivement en 1939 et 1940.
Tous ces auteurs fondent leur commentaire du tableau sur la description qu’en avait faite Joseph Dietsch dès 1888 dans son manuscrit [1] conservé à la bibliothèque Municipale de Dijon.
Le manque de communication entre l’Allemagne du sud et la France à ces époques n’avait pas permis à ces auteurs de faire une étude exhaustive de ce tableau, mais Jacques Gardien avait pressenti que les orgues représentés en fond du portrait pouvaient être ceux de Salem (qu’il n’a jamais vus).

Sur la base de ces données, j’ai repris l’étude de ce tableau à l’occasion des recherches pour ma thèse de doctorat (Université Lyon II 1985, op cité [5].
Celui-ci, peint à Salem probablement lors des derniers séjours de Riepp (en 1772, 73 ou même pendant l’été 1774) dans cette abbaye Cistercienne proche du lac de Constance où il a construit trois orgues (dispersés lors de la sécularisation) présente des symboles de la double appartenance de Riepp à la Bourgogne et à la Souabe, et de ses deux métiers : facteur d’orgues d’une part, négociant en vins et propriétaire de vignobles en Bourgogne d’autre part.
L’identification formelle des deux orgues de Salem en fond du tableau et l’attribution au peintre Andréas Brügger, alors peintre officiel de l’abbaye a été publiée dans le catalogue d’une exposition réalisée par mes soins (avec la collaboration de Michelle Guéritey) à Beaune en décembre 1988 ([6] pp 9-10)
Le portrait, légué à l’association des Amis de l’Orgue de la Cathédrale de Dijon par le dernier descendant de Riepp qui l’ait eu en sa possession, n’était alors pas encore restauré.

Ces informations ont été reprises et complétées dans mon ouvrage « Le Grand orgue de la Cathédrale Saint Bénigne de Dijon » (op.cité [7] pp 41-42 où la reproduction en couleur du portrait restauré figure dans les premières pages et en vignette à la quatrième de couverture) :
« [Ce tableau] a été peint à Salem lors du dernier séjour de Riepp dans cette abbaye, (entre le 25 mai et le 6 septembre 1774), juste avant l'achèvement de l'orgue "du Tabernacle" représenté à droite du tableau sans ses tuyaux de façade. Il est dû probablement à Andreas Brugger qui a peint la même année le portrait de l'Abbé Anselm II que l'on peut voir dans la bibliothèque de l'abbaye. Le facteur d'orgues dont les traits semblent déjà marqués par la maladie est derrière une petite table. Sur celle-ci est étendu un papier où est tracé le diapason d'un jeu. De la main droite, il pointe l'un des diamètres au moyen d'un compas de proportion. Chaque note est désignée d'un lettre: on reconnaît l'écriture caractéristique de Karl Joseph Riepp, qui a inscrit lui-même le nom des notes de l'octave: "C C# D ev " etc. A droite de la table, un pied de vigne enroule ses pampres et ses grappes. Sur la table, un accordoir de jeux de fonds en laiton tourné est fiché dans le goulot d'une bouteille de vin rouge; dans le cône de l'accordoir une chandelle achève de se consumer et projette sa lumière sur le visage de Karl Joseph Riepp. En arrière plan sont représentés les orgues de l'abbaye: à droite du facteur, le grand orgue, à gauche, l'orgue "du tabernacle" dont les tuyaux de façade n'ont pas encore été posés: derrière les statues allégoriques placées devant le buffet, on voit seulement les tuyaux du cornet dans la grande tourelle. La composition est de qualité et allie la symbolique au réalisme du portrait. »

Les publications des reproductions du tableau par Norbert Dufourcq (in le livre de l’orgue Français TIII, « la facture », Paris, Picard 1978, planche XIX) avec les portraits de F.H Clicquot, de sa femme et celui de Jean François Lépine, et par Robert Martin et al. (tableau non restauré) ne sont que des utilisations au titre d’illustrations et ne correspondent à aucune recherche de ces auteurs sur le sujet.

Le compas que Riepp tient dans la main droite est un compas de proportions. Dans la situation du portrait, son utilisation est la suivante :
La feuille de papier étendue sur la table porte le diapason d’un jeu c’est à dire un graphique dont la longueur des lignes verticales représente le diamètre de chaque tuyau. La largeur de la bouche du tuyau et la hauteur de celle-ci sont des fractions déterminées du diamètre de chaque tuyau. Avec le compas de proportion, on obtient donc aisément l’une ou l’autre en réglant la position du point d’articulation des branches de telle sorte que la grande ouverture étant la longueur correspondant au diamètre du tuyau, la petite donne la largeur de la bouche ou sa hauteur, selon la proportion choisie (en général, on détermine ainsi sur le papier la largeur de la bouche, puis sa hauteur en répétant l’opération à partir de la largeur sur le tuyau lui même en cours de fabrication).
La grande ouverture du compas tenu par Riepp est pointée sur la note DO (C), la proportion de la petite ouverture à la grande est de 0,3 environ (ce qui est plausible pour un tracé réel, mais peut aussi résulter de la fantaisie du peintre).
Le geste professionnel a certainement été expliqué par Riepp à l’artiste puisque – comme je l’ai fait remarquer [7] – c’est lui-même qui a écrit les lettres représentant les noms des notes sur le tableau lui même. (son écriture est bien connue par les marques qu’il a tracées sur les tuyaux de ses orgues et par sa correspondance).

(Cité par :
Gétreau, Florence, « Un portrait énigmatique de l’ancienne collection Henry Prunières », Musique • Images • Instruments, n°5, Paris, CNRS Éditions, 2003, p. 148-156. http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00009494/fr/)


Bibliographie :

[1] DIETSCH, JOSEPH, - Dijon, les orgues, les organiers, 1427-1887 - 1888, Bibliothèque Municipale de Dijon, Ms 1818.
[2] MEYER, HERMANN - Karl Joseph Riepp der Orgelbauer von Ottobeuren. Ein Beitrag zur Geschichte des Oberschwäbischen Orgelbaues im 18. Jahrhundert (Mit einem Anhang von Johannes G. Mehl) - Kassel: Bärenreiter - 1939, 189 pages, planches.
[3] WÖRSCHING, JOSEPH - Der Orgelbauer Karl Riepp (1710/1775). Ein Beitrag zur Geschichte der süddeutschen Orgelbaukunst des 18. Jahrhunderts - Mainz: Rheingold, 1940, 327 pages, planches.
[4] GARDIEN, JACQUES - L’orgue et les organistes en Bourgogne et en Franche-Comté au dix-huitiéme siécle - Paris: Librairie E. Droz, 1943, 577 pages.
[5] GUERITEY, PIERRE-MARIE - Karl Joseph Riepp et l’orgue de Dole - Bron: Imprimerie Ferréol, 1985, 2 volumes. 649 pages, planches. (thèse de doctorat soutenue le 15 juillet 1985, université Lyon 2)
[6] GUERITEY, PIERRE-MARIE et MICHELLE – Karl Joseph Riepp facteur d’orgues à Dijon 1710-1775 – Beaune 1988.
[7] GUERITEY, PIERRE-MARIE - Le Grand orgue de la Cathédrale Saint Bénigne de Dijon – Dijon, Euromuses, Les Amis de l’orgue de la Cathédrale, 1995, 158 pages, planches.

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